Du commissariat au parvis, logique

Éric Bianchi, diacre suffragant de l'Église évangélique réformée vaudoise. © Max Idje / Éric Bianchi, diacre suffragant de l'Église évangélique réformée vaudoise. © Max Idje
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Éric Bianchi, diacre suffragant de l'Église évangélique réformée vaudoise. © Max Idje
Éric Bianchi, diacre suffragant de l'Église évangélique réformée vaudoise. © Max Idje

Du commissariat au parvis, logique

6 octobre 2021
Éric Bianchi est diacre suffragant de l’Église réformée vaudoise. Cet ancien flic bat aujourd’hui le pavé à l’écoute de la solitude urbaine. Portrait.

Ne lui dites pas qu’il est poète, ça le gêne. Pourtant, son recueil «Au fil de l’eau», publié il y a dix ans déjà, hante toujours les pages de Google lorsqu’on y tape son nom. Éric Bianchi est un poète singulier. Il dégaine la rime, une fois son arme rangée. Un exutoire nécessaire lorsqu’on est gendarme à Police Secours puis inspecteur aux mœurs. Mais ça, c’était avant. Il a rendu son matricule et troqué son uniforme contre la robe du ministre. Aujourd’hui, Éric Bianchi est diacre suffragant de l’Église évangélique réformée vaudoise (EERV), encore deux ans avant d’être consacré.

D’ici là, Éric Bianchi use le pavé des ruelles lausannoises, en quête de celles et ceux qui y ont élu domicile. Sa mission: apporter une écoute à ceux que l’on n’entend plus, noyés entre solitude, difficultés sociales et addictions. Son stamm? La rue Pré-du-Marché et bientôt, les rues de Lausanne. Éric Bianchi bosse à la «Pasto», comprenez la Pastorale œcuménique de la rue des Églises réformée et catholique vaudoises pour les plus précarisés. Avec presque quinze ans de police dans les pattes, il en connaît un rayon, mais ne s’en vante pas.

Sous l’uniforme, l’homme

En toute simplicité, ce presque quarantenaire propose de venir nous rencontrer à la rédaction, «c’est sur mon chemin». À la porte, c’est un grand gaillard élancé et au large sourire qui nous attend. Sa mâchoire taillée tranche avec ses deux grandes billes brunes. Un anneau noir à l’oreille droite, au bras gauche une veste et un casque de moto. Une volée de marches plus tard, sur le canapé rouge, il fait un peu chaud. Un verre d’eau ça sera très bien.

La question nous brûle les lèvres: passer de flic à homme d’Église, une évidence? Presque. Éric Bianchi ne parle ni de reconversion, pas même de métiers, mais bien de vocations. «Je ne suis pas devenu policier pour casser des portes. Avant d’avoir un rôle répréhensif, la police a une fonction sociale, d’écoute et de respect de chacun», il en est convaincu, le diaconat s’inscrit dans une « continuité» – à croire que ça n’étonne que nous. Sa famille comme ses frères d’armes d’alors n’ont pas été surpris: «Avec sa lucidité et son expérience dans les forces de l’ordre, il connaît bien l’âme humaine», confie d’ailleurs un ancien collègue policier et ami. Il faut dire que le ministère titille Éric Bianchi depuis bien longtemps et au commissariat, il ne s’en cachait pas. Parce que sa foi lui colle à la peau. Petit, il entretient de longues discussions avec l’Autre, nous dit-il. Et puis en grandissant, sa foi évolue: «Aujourd’hui, elle se traduit en actes d’amour et d’attention.»

Il a pourtant longtemps hésité avant de se lancer, trop humble pour se sentir digne de la fonction. Et puis c’est le déclic. Un arrêt de travail de deux ans pour des ennuis de santé, sur lesquels il ne s’épanche pas, l’empêchera de reprendre du service. Éric Bianchi se fait une raison: il servira les autres – et l’Autre – différemment. Il goûte alors au sacerdoce à Neuchâtel d’abord, dans la paroisse du Val-de-Travers. Mais ce Vaudois d’origine, exilé par amour, finit par rentrer au bercail, il y a quelques mois. Marié et père de deux enfants, il prend sa smala dans ses valises et rejoint le chef-lieu qui l’a vu naître.

Le bon Samaritain

Serviteur donc mais pas sauveur pour un sou. «Je ne suis qu’un petit homme sans solution miracle.» Le contraire serait mentir à ceux qu’ils côtoient dans la rue. Lorsqu’il en parle de cette rue, son visage s’illumine à l’évocation de cette petite grand-mère qui cherche vainement de l’eau bénite. Parfois, son regard plonge sur ses mains qui s’agitent: «Il y avait cette femme, une toxicomane, couchée sur les marches. Son état était physiquement inquiétant. Elle avait consommé. Je suis resté à ses côtés. En la regardant je me demandais ce que la société avait loupé et si ses blessures de l’âme pourraient seulement être guéries.» Silence.

Lorsqu’il était flic aussi, «on nous appelait lorsqu’il n’y avait plus d’autre choix, souvent lorsqu’il était déjà trop tard. Alors on est un premier palier de l’aide, parfois une simple présence auprès de personnes qui traversent le pire moment de leur vie.» Ce n’était pas de tout repos: trier des photos pédopornographiques, se rendre au Creux-du-Van pour un suicide. «Dans la voiture abandonnée, le CD tournait encore. Dans quel état d’esprit était-elle? Comment arrive-t-on à cet acte ultime, de libération peut-être?» Silence encore.

Une Église sur la route

Et puis Éric Bianchi embraie. «Tant de gens en arrivent à des actes désespérés, parce qu’ils n’ont pas été entendus. Notre société prône une non-stigmatisation et pourtant elle exclut les comportements qui ne collent pas à ses idéaux. Comment changer le déni de toute une société qui passe à côté de ses personnes en marge sans même les regarder?» Lucide, donc, Éric Bianchi est habité par une «impuissance personnelle et citoyenne». Pour autant, l’homme ne se démonte pas, balançant entre douceur et humour cinglant. Les confidences qui lui sont faites à la «Pasto», aujourd’hui Éric Bianchi n’a plus à les passer au crible de la loi. Pour autant, il ne cache pas ce passé à ses interlocuteurs, mais il craignait leur réaction.

Au détour de la conversation, il nous glisse encore qu’en 2022, c’est en bus que l’équipe de la «Pasto» sillonnera les quartiers de la ville pour se rapprocher des solitudes invisibles. Drôle de hasard pour celui qui avait eu l’idée un peu folle d’une Église sur les routes le Val-de-Travers en calèche et un bus VW. Alors qu’il rapatrie ses affaires à bout de bras, il promet de nous envoyer un texte de Guy Gilbert, en écho à notre conversation, il aimerait avoir notre avis. Le rendez-vous est pris.

Bio express

1982 Naissance à Lausanne.

2004 Agent à Police Secours et gendarme pendant neuf années.

2007 Départ pour le canton de Neuchâtel avec son épouse.

2012 Publication du recueil de poésies «Au fil de l’eau», publié à 3000 exemplaires.

2013 Intègre la brigade des mœurs en tant qu’inspecteur, il y restera quatre années.

2017 Prend conscience de sa vocation diaconale et démarre sa formation.

2019 Lancement du projet Église en route, au cours de son stage dans la paroisse du Val-de-Travers. Il sillonne les villages de la région avec une calèche et un bis VW.

2021 Retour dans le canton de Vaud avec sa femme et ses deux enfants.

2021 Entame sa suffragance en tant que diacre de l’Église évangélique réformée vaudoise (EERV). Il commence en mai son ministère à la «Pasto», l’aumônerie œcuménique de la rue à Lausanne (COPAR).